Les Animaux malades de la Dette

Un mal qui répand la terreur,
Mal que le Marché en sa faveur
Inventa pour punir les gens de la Terre,
La Dette (puisqu'il faut l'appeler par son nom)
Capable d'enrichir les capitaux,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés :
On n'en voyait moins travailler
Chercher soutien auprès des Banquiers ;
Les mets excitaient leur envie ;
Les Loups et les Renards épiaient
La douce et l'innocente proie.
Les Colombes s'en allaient :
Plus d'amour, plus de paix, plus de joie.
Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis,
Je crois que le Marché a permis
Pour nos péchés cette infortune ;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie sur l'autel de la fortune,
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements :
Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L'état de nos finances.
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons
J'ai vendu et acheté quelques actions.
Qu'avais-je fait ? Nulle offense :
Même il m'est arrivé quelquefois
De supprimer quelques emplois.
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi :
Car on doit souhaiter selon toute justice
Que le plus coupable s'affranchisse.
- Sire, dit le Renard, vous êtes trop délicat ;
Vos scrupules font voir trop de souplesse ;
Et bien achetez, spéculez, managez cette sotte espèce,
Est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes Seigneur
En les obligeant beaucoup d'honneur.
Et quant aux ouvriers l'on peut dire
Qu'ils étaient dignes de tous les maux,
Étant de ces gens-là qui sur les capitaux
Se font de piètres idéaux.
Ainsi dit le Renard, et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.
Tous les profiteurs, jusqu'aux simple trader,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L’Âne vint à son tour et dit : J'ai souvenance
Qu'en un mois d'hiver passant,
La faim, l'occasion, les fêtes arrivant, et je pense
Quelque diable aussi me poussant,
Je déclarai la moitié de ce que j'avais.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un Loup plus en colère prouva par sa créance
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée condamnable.
Demander l'API ! quel crime abominable !
Rien que le remord n'était capable
D'expier son forfait : on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez riche ou misérable,
Par la Loi vous serez libre ou bien taulard.

Jean de Lafontaine adapté par Thibault Carlini